Jardin d'enfant
 
Jean-Robert Chauvin
 
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Elsa est au jardin. Elle pleure. Elle a 15 ans, les cheveux courts, les yeux tristes et le corps serré. Elle s’est roulée en boule, les genoux ramenés contre sa poitrine, les bras entourant ses jambes, la tête baissée, le visage enfoui. Comme pour se fondre, se réfugier, comme pour s’engloutir en elle même. Étreindre son corps tout entier jusqu’à l’étouffer, faire taire en elle la rumeur assourdissante du mutisme. Elle ne bouge pas. Elle ne fait rien. Il ne se passe rien. Que le silence du jardin et de sa solitude. Et le parfum des fleurs, l’odeur sucrée des framboises au pied du mur qui la sépare de la rue, du monde. Elle n’a même pas envie de se lever pour en cueillir une poignée. Pas envie de manger. Elle n’a envie de rien. Seulement que le temps passe, jusqu’à demain soir et le retour à l’internat. Elle cherche dans le sol le réconfort d’autrefois, l’écho lointain du peuple souterrain. Elle s’écrase face contre terre jusqu’à s’engloutir, jusqu’à s’aveugler, jusqu’à s’asphyxier. Elle se relève brusquement. Se dresse face au tilleul. Elle caresse l’écorce de l’arbre, elle enlace son tronc pour y abandonner sa peine, pour puiser à ses racines une parcelle d’énergie pour affronter le soir. Elle déteste le soir. Elle redoute la nuit. Elle sent dans sa nuque les derniers rayons du soleil qui disparaît derrière le mur. Elle appréhende le crépuscule qui l’enveloppe dans un frisson qui lui parcourt le corps et la fait grelotter. Elle se sent inutile. Elle entend la voix de son père qui appelle en sortant du bureau. Il peut crier maintenant. La mère d’Elsa est morte. Il y a deux ans. "Des suites d’une longue maladie." On ne risque plus de la déranger. Le silence n’a plus de raison d’être. Et les pleurs d’Elsa s’étouffent dans sa gorge. Et son cri inutile ne trouve aucun écho.

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