Le Robert bouscule l'orthographe


INTERVIEW - Dans la version 2009 du dictionnaire, quelque 6000 mots sont proposés avec deux orthographes différentes. La directrice éditoriale s'explique.

Le Robert innove. Le dictionnaire dépoussière l'orthographe traditionnelle en intégrant dans son édition 2009 de nombreux mots écrits de manières différentes. Exemple : on pourra désormais choisir entre «charriot» et «chariot». «Pizzéria» peut également s'écrire avec ou sans accent sur le «e» et «pop-corn» avec ou sans tiret. Au total, quelque 6.000 mots sur 60.000 répertoriés par le dictionnaire sont ainsi proposés avec deux orthographes possibles pour s'adapter aux nouveaux usages de la langue au quotidien. Le point avec Marie-Hélène Drivaud, directrice éditoriale du Petit Robert.

: Vous avez choisi de multiplier les orthographes acceptées pour un seul mot. Cela veut-il dire qu'on ne peut plus se fier au dictionnaire ?

Marie-Hélène Drivaud : Cette évolution est tout à fait naturelle, comme par exemple la possibilité d'écrire «clef» ou «clé», qui est très ancienne. Historiquement, l'orthographe bouge, et c'est très bien ainsi ! Il faut savoir que nous adaptons l'évolution des mots en fonction de leur usage.

C'est-à-dire ?

Des mots comme «pizzeria» ou «kebab» par exemple, qui sont employés très couramment, peuvent être francisés. On acceptera donc un accent sur le «e» de ces deux mots, dans cette optique. Ce qui ne sera pas le cas avec des mots latins employés par des spécialistes uniquement.

Il y a également une tendance à la soudure des mots composés ?

Oui car c'est une évolution naturelle. Qui se souvient que «gendarme» ou «vinaigre» s'écrivaient «gens d'arme» et «vin aigre» ? La soudure des mots composés se fait depuis longtemps. Dans un premier temps, elle co-existe avec une forme non-soudée, puis elle prend le pas sur elle. Au final, elle permet surtout de simplifier l'emploi du pluriel.

Si l'on vous suit, beaucoup d'orthographes pourraient changer. Comment fixer une limite ?

Chaque fois qu'une modification a paru excessive ou perturbante, elle n'a pas été retenue. Il y a des choses qui sont encore sensibles, pour lesquelles il est trop tôt. La suppression de l'accent circonflexe en est une, par exemple. Ou bien l'évolution du mot «sèche-cheveux», dont nous avons accepté l'occurrence sans le «x» quand il est employé au singulier. Nous avons simplement admis cette possibilité en «remarque», mais à terme, cette orthographe évoluera peut-être.

Votre démarche est donc de simplifier l'usage de la langue. Ne risquez-vous pas de céder à la facilité ?

Notre souci est de faire évoluer le dictionnaire de la même manière que la langue et l'orthographe changent. Beaucoup de gens s'imaginent que c'est gravé dans le marbre, mais si on reprend les mots du premier dictionnaire de l'académie, en 1694, plus de la moitié ne s'écrivent plus de la même manière ! Depuis 1993, où une grosse remise en question avait été faite sur l'orthographe, nous n'avons cessé de travailler. C'est une tâche compliquée, qui a des implications historiques et culturelles très importantes.