«Le Royaume» d'Emmanuel Carrère reçoit le prix littéraire du «Monde»
艾玛纽埃·嘉禾的《王国》获得世界报文学奖。

Emmanuel Carrère a reçu le prix littéraire du Monde 2014, pour son roman Le Royaume, une fresque captivante sur les débuts de la chrétienté, publiée aux éditions P.O.L. Le Prix littéraire du Monde, dont c’est la deuxième édition, récompense un roman choisi parmi les titres parus au cours de l’année écoulée, à la fois pour ses qualités littéraires et pour la vision du monde qu’il propose. Parmi les meilleures ventes de romans, et en dépit d’une critique élogieuse, Le Royaume n’a pas été retenu dans la première sélection du Goncourt.
艾玛纽埃·嘉禾凭借着小说《王国》斩获2014世界报文学奖,这本引人入胜的文学巨作讲述的是基督教的起源,现已通过P.O.L出版业出版。世界报文学奖已经举行了两届,是从当年已公开出售的众多书籍中挑选出即具有文学价值又迎合大众口味的小说对其进行褒奖。尽管《王国》是最畅销的书籍,也受到一致的好评,但却没有通过龚古尔文学奖的初次评选。

Le Royaume raconte l’histoire des débuts de la chrétienté, vers la fin du Ier siècle après Jésus Christ. Il raconte comment deux hommes, essentiellement, Paul et Luc, ont transformé une petite secte juive qu’elle affirmait être le messie, en une religion qui en trois siècles a miné l’Empire romain puis conquis le monde et concerne aujourd’hui encore le quart de l’humanité
《王国》讲述的是基督教起始的故事,一直到公元一世纪末。它主要讲述了保罗和卢克两个人如何将一个自诩为弥赛亚(犹太人期望中的复国救主)的犹太小教派改变成一个在三世纪削弱罗马帝国并逐渐征服世界、迄今拥有世界人口四分之一教众的宗教。

Le Royaume est un livre ample, drôle et grave, mouvementé et intérieur, érudit et trivial, total.
总的来说,《王国》是一本既滑稽又严肃,既生动又有深意,既专业又通俗的巨作。

节选阅读:

Ce printemps-là, j’ai participé au scénario d’une série télévisée. En voici l’argument : une nuit, dans une petite ville de montagne, des morts reviennent. On ne sait pas pourquoi, ni pourquoi ces morts-là plutôt que d’autres. Eux-mêmes ne savent pas qu’ils sont morts. Ils le découvrent dans le regard épouvanté de ceux qu’ils aiment, qui les aimaient, auprès de qui ils voudraient reprendre leur place. Ce ne sont pas des zombies, ce ne sont pas des fantômes, ce ne sont pas des vampires. On n’est pas dans un film fantastique mais dans la réalité. On se pose, sérieusement, la question : supposons que cette chose impossible arrive pour de bon, que se passerait-il ? Si en entrant dans la cuisine vous trouviez votre fille adolescente, morte trois ans plus tôt, en train de se préparer un bol de céréales en craignant de se faire engueuler parce qu’elle est rentrée tard, sans aucun souvenir de ce qui s’est passé la nuit précédente, comment réagiriez-vous ? Concrètement : quels gestes feriez-vous ? Quelles paroles prononceriez-vous ?
Je n’écris plus de fiction depuis longtemps mais je sais reconnaître un dispositif de fiction puissant quand on m’en propose un, et celui-ci était de loin le plus puissant qu’on m’ait proposé dans ma carrière de scénariste. Pendant quatre mois, j’ai travaillé avec le réalisateur Fabrice Gobert tous les jours, du matin au soir, dans un mélange d’enthousiasme et, souvent, de sidération devant les situations que nous mettions en place, les sentiments que nous manipulions. Ensuite, pour ce qui me concerne, les choses se sont gâtées avec nos commanditaires. J’ai presque vingt ans de plus que Fabrice, je supportais moins bien que lui de passer constamment des examens devant des petits jeunes gens à barbe de trois jours qui avaient l’âge d’être mes fils et faisaient des moues blasées devant ce que nous écrivions. La tentation était grande de dire : «Si vous savez si bien ce qu’il faut faire, les gars, faites-le vous-mêmes.» J’y ai cédé. Contre les sages conseils d’Hélène, ma femme, et de François, mon agent, j’ai manqué d’humilité et claqué la porte à mi-chemin de la première saison.
Je n’ai commencé à regretter mon geste que quelques mois plus tard, très précisément au cours d’un dîner auquel j’avais convié Fabrice avec le chef opérateur Patrick Blossier, qui avait fait l’image de mon film la Moustache. J’étais sûr qu’il serait l’homme idéal pour faire celle des Revenants, sûr que Fabrice et lui s’entendraient à merveille, et c’est ce qui s’est passé. Mais en les écoutant ce soir-là, à la table de la cuisine, parler de la série en gestation, de ces histoires que nous avions imaginées à deux dans mon bureau et qui devenaient déjà des choix de décors, d’acteurs, de techniciens, je sentais presque physiquement se mettre en branle cette énorme et excitante machine qu’est un tournage, je me disais que j’aurais dû être de l’aventure, que par ma faute je n’en serais pas, et j’ai tout à coup commencé à être triste, aussi triste que ce type, Pete Best, qui a été deux ans le batteur d’un petit groupe de Liverpool appelé les Beatles, qui l’a quitté juste avant qu’il ne décroche son premier contrat d’enregistrement et qui a dû passer le reste de sa vie, j’imagine, à s’en mordre les doigts. (Les Revenants ont connu un succès planétaire et, à l’heure où j’écris, viennent d’obtenir l’International Emmy Award récompensant la meilleure série du monde.)
J’ai trop bu, au cours de ce dîner. L’expérience m’a appris qu’il vaut mieux ne pas s’étendre sur ce qu’on écrit tant qu’on n’a pas fini de l’écrire, et surtout pas quand on est soûl : ces confidences exaltées se paient à tous les coups d’une semaine de découragement. Mais ce soir-là, sans doute pour combattre mon dépit, montrer que moi aussi, de mon côté, je faisais quelque chose d’intéressant, j’ai parlé à Fabrice et Patrick du livre sur les premiers chrétiens auquel je travaillais depuis déjà plusieurs années. Je l’avais mis de côté pour m’occuper des Revenants, je venais de m’y remettre. Je le leur ai raconté comme on raconte une série.
Cela se passe à Corinthe, en Grèce, vers l’an 50 après Jésus-Christ - mais personne, bien sûr, ne se doute alors qu’il vit «après Jésus-Christ». Au début, on voit arriver un prédicateur itinérant qui ouvre un modeste atelier de tisserand. Sans bouger de derrière son métier, celui qu’on appellera plus tard saint Paul file sa toile et, de proche en proche, l’étend sur toute la ville. Chauve, barbu, terrassé par de brusques attaques d’une maladie mystérieuse, il raconte d’une voix basse et insinuante l’histoire d’un prophète crucifié vingt ans plus tôt en Judée. Il dit que ce prophète est revenu d’entre les morts et que ce retour d’entre les morts est le signe avant-coureur de quelque chose d’énorme : une mutation de l’humanité, à la fois radicale et invisible. La contagion opère. Les adeptes de l’étrange croyance qui se répand autour de Paul dans les bas-fonds de Corinthe en viennent bientôt à se voir eux-mêmes comme des mutants : camouflés en amis, en voisins, indétectables.
Les yeux de Fabrice brillent : «Raconté comme ça, on dirait du Dick !» Le romancier de science-fiction Philip K. Dick a été une référence majeure pendant notre travail d’écriture ; je sens mon public captivé, je renchéris : oui, on dirait du Dick, et cette histoire des débuts du christianisme, c’est aussi la même chose que les Revenants. Ce qu’on raconte dans les Revenants, ce sont ces jours derniers qu’étaient persuadés de vivre les adeptes de Paul, où les morts se relèveront et où se consommera le jugement du monde. C’est la communauté de parias et d’élus qui se forme autour de cet événement sidérant : une résurrection. C’est l’histoire de quelque chose d’impossible et qui pourtant advient. Je m’excite, je me ressers verre sur verre, j’insiste pour resservir aussi mes hôtes, et c’est alors que Patrick dit quelque chose d’au fond assez banal mais qui me frappe parce qu’on sent que ça lui est venu à l’esprit sans crier gare, qu’il n’y avait pas pensé et que d’y penser l’étonne.
Ce qu’il dit, c’est que c’est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées. Dans les temps anciens, admettons : les gens étaient crédules, la science n’existait pas. Mais aujourd’hui ! Un type qui aujourd’hui croirait à des histoires de dieux qui se transforment en cygnes pour séduire des mortelles, ou à des princesses qui embrassent des crapauds et quand elles les embrassent ils deviennent des princes charmants, tout le monde dirait : il est fou. Or, un tas de gens croient une histoire tout aussi délirante et ces gens ne passent pas pour des fous. Même sans partager leur croyance, on les prend au sérieux. Ils ont un rôle social, moins important que par le passé, mais respecté et dans l’ensemble plutôt positif. Leur lubie cohabite avec des activités tout à fait sensées. Les présidents de la République rendent visite à leur chef avec déférence. C’est quand même bizarre, non ?
C’est bizarre, oui, et Nietzsche, dont je lis quelques pages chaque matin au café après avoir conduit Jeanne à l’école, exprime dans ces termes la même stupeur que Patrick Blossier :
«Par un matin de dimanche, quand nous entendons bourdonner les vieilles cloches, nous nous demandons : mais est-ce possible ? Tout cela pour un Juif crucifié il y a deux mille ans et qui disait être le fils de Dieu - encore qu’il n’y ait pas de preuve de cette affirmation. Un dieu qui engendre avec une femme mortelle. Un sage qui recommande de ne plus travailler, de ne plus rendre la justice, mais de guetter les signes de la fin du monde imminente. Une justice qui accepte de prendre un innocent comme victime suppléante. Un maître qui ordonne à ses disciples de boire son sang. Des prières pour obtenir des miracles. Des péchés commis contre un dieu, expiés par un dieu. La peur d’un au-delà dont la mort est la porte. La figure de la croix pour symbole, à une époque qui ne sait plus rien de la fonction ni de l’ignominie de la croix. Quel frisson d’horreur nous vient de tout cela, comme un souffle exhalé par le sépulcre d’un passé sans fond ? Qui peut croire que l’on croie encore une chose pareille ?»
On la croit pourtant. Beaucoup de gens la croient. Quand ils vont à l’église, ils récitent le Credo dont chaque phrase est une insulte au bon sens, et ils le récitent en français, qu’ils sont censés comprendre. Mon père, qui m’emmenait à la messe le dimanche, quand j’étais petit, regrettait qu’elle ne soit plus en latin, à la fois par passéisme et parce que, je me rappelle sa phrase, «en latin, on ne se rendait pas compte que c’est si bête». On peut se rassurer en disant : ils n’y croient pas. Pas plus qu’au père Noël. Cela fait partie d’un héritage, de coutumes séculaires et belles auxquelles ils sont attachés. En les perpétuant, ils proclament un lien dont il y a lieu d’être fier avec l’esprit d’où sont sorties les cathédrales et la musique de Bach. Ils marmonnent ça parce que c’est l’usage, comme nous autres bobos pour qui le cours de yoga du dimanche matin a remplacé la messe marmonnons un mantra, à la suite de notre maître, avant de commencer la pratique. Dans ce mantra, cependant, on souhaite que les pluies tombent à point nommé et que tous les hommes vivent en paix, ce qui relève sans doute du vœu pieux mais n’offense pas la raison, et c’est une différence notable avec le christianisme.