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La nappe à carreaux rouges et blancs retenait toute son attention. Elle grattait une tache invisible pour les autres, étendue pour elle.

Elle s'entêtait à effacer un relief inexistant.

Elle venait ici tous les jours, après les heures de bureau. Elle y restait peu, 30 ou 40 minutes. Le temps de se retrouver, de puiser quelques forces devant un café noir qui l'empêcherait de dormir. De toute façon, elle dormait peu.

Elle n'avait jamais bien dormi, même avant.

Elle tournait longuement la cuiller dans le liquide pour y dissoudre le morceau de sucre. Le rythme machinal et lent du geste, le petit sillon éphémère creusé en surface entraînaient ses pensées.

Elle descendait lentement dans sa réflexion, là où les mots ne sont plus nécessaires parce que le partage n'est plus possible. Elle descendait dans son intimité frileusement fermée. Elle atteignait la naissance de sa tristesse, la racine de ses souvenirs, la boue de sa vie. Elle portait un regard toujours critique sur ses pensées, une introspection douloureuse, parfois. Elle mesurait chaque fois sa force et ses faiblesses, sa volonté et sa veulerie.

De temps à autre, elle regardait distraitement les autres consommateurs ou s'attardait dans l'observation d'une scène amusante ou pitoyable dans son indécence. Ces gens se perdaient en discussions vaines ou s'égaraient en propos obscurs, insensés, incohérents, oubliant toute pudeur.

Mais les autres l'intéressaient de moins en moins. Elle avait trop à faire avec sa vie, avec son désespoir et ses illusions, ses promesses et ses espérances.

Que les choses variaient vite, comme elles nous échappaient  !

Avant, ils étaient cinq, puis quatre, puis une. En quelques mois, ce qui composait une famille, sa famille, avait disparu.

La mort de l'un, le départ quasi simultané des autres l'avaient désorientée. Une échappée soudaine, comme si la mort avait lâché le lien qui les tenait, qui les réunissait. Les autres étaient partis si rapidement ! On aurait pu penser qu'ils n'attendaient que le moment propice pour s'égailler, et ce moment était un décès, brutal, violent.

Elle était restée seule, responsable de sa vie, de sa prison mentale aussi.

Et cela, elle n'avait pu le supporter.

Elle avait choisi un masque de fierté indifférente pour s'éloigner, pour se replier, pour cacher son chagrin. Elle avait choisi d'effacer ses relations, d'ignorer ses amis, de s'isoler pour mieux comprendre les événements, pour ne plus les subir, pour être libre de choisir la prochaine fois. Choisir quoi ? Elle n'en avait pas la moindre idée ! Mais cet isolement, ce détachement lui donnaient une impression de liberté.

Par habitude, plutôt que par goût, par nécessité aussi, elle avait continué sa vie professionnelle monotone, sans ambition. Peu à peu, elle avait perdu de vue ce point qui aide chaque homme à grandir, qui le pousse à aller un peu plus avant chaque jour, qui l'incite à se dépasser. Elle avait perdu ses repères. Elle était atone, morne, défaite. Elle s'ennuyait, elle n'avait plus de projet. Demain, pour elle, sera le double d'hier ou son ombre et aujourd'hui était sans âme, sans relief.

Elle oubliait de vivre.

Elle venait chaque jour, dans ce café après les heures de bureau, pour faire une pause, pour prendre des forces avant de retrouver la solitude destructrice qui lui tenait lieu de famille, désormais. Elle venait ici chaque soir avant de plonger dans son gouffre.

Ce soir, en entrant dans le café, elle fut étonnée et un peu contrariée aussi d'y découvrir une nouvelle serveuse. Elle s'était habituée au vieux serveur grognon tout aussi mutique qu'elle. Elle s'asseyait, il posait immédiatement, devant elle, la tasse de café noir et le sucre, sans un mot, sans un sourire.

"Et si je voulais autre chose ?" avait-elle pensé à plusieurs reprises. Mais elle n'avait plus de désir nouveau.

La répétition, l'uniformité étaient confortables et, seules, la rassuraient.

La nouvelle l'avait saluée d'un bonsoir sonore. Elle s'était surprise à y répondre d'une voix claire qu'elle ne se connaissait plus depuis longtemps…

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