Le dernier Père Noël 

Natacha Peneau

Avez-vous pensé aux difficultés, d’être la seule enfant, d’une grande famille ?  

Évidemment il y a beaucoup d’avantage ! Mais que d’inconvénients ! Tous les yeux  sont braqués sur vous !

« Tu travailles bien à l’école ? » que répondre sinon oui, merci…

« Quelles sont tes meilleures notes ? »… là je triche un peu en sortant les deux ou trois,  moins mauvaises…

« Veux tu nous lire quelque chose ? »…pitié, ça non ! je suis timide, et Grand-mère m’exhibe comme un singe savant devant tous ses invités…

J’avais horreur des dimanches ou jours fériés quand tous se donnaient rendez-vous chez nous pour torturer les petites filles – qui n’étaient que moi- …leurs voix sonnaient mielleusement fausses juste pour faire plaisir à Grand-mère qui faisait la roue, à l’arrière coulisse, pendant que j’étais martyrisée sur le devant de la scène !

Par contre, l ‘avantage était d’être invitée à mon tour, à tous les sapins de Noël , organisés par nombre de comité de russes blancs…

Mon premier Noël était avec ma maman dans l’intimité, le 24 décembre, un petit sapin, une chambre d’hôtel décorée avec soin , un gros paquet déposé bien en vue et qui était toujours entouré par mille petits riens faisant de cette journée unique, une fête merveilleuse. Tendresse, amour sans borne pour une Maman qui m’était accordée au compte goutte, un bonheur infini…Cette année le gros paquet contenait un énorme nounours, un peu rêche, tout neuf et de ce fait bien moins sympathique que mon vieux qui perdait sa paille par endroit, que j’avais aspergé de mes pleurs tant de fois, qu’il était devenu mon ami et mon confident…

« Pourrais-je aimer mon vieux nounours un tout petit peu plus ? « demandai je à ma mère . Je crois que je lui fis de la peine…J’aurais voulu ravaler mes mots, …trop tard !

Après une journée bien trop courte…Je revenais le soir chez Grand mère qui curieuse voulait connaître le contenu de mes trésors que je tenais bien serrés contre moi, pour ne pas en dévoiler trop tôt tout le charme et la tendresse…Je ne voulais partager ces moments avec personne !

Aussitôt Grand mère me matraquait par les nombreux Noël qui m’attendaient, j’avais souvent une participation sur scène, mais je m’y étais habituée. Je préférais et de loin les danses folkloriques endiablées que la lecture de poèmes en solitaire  dans une énorme salle !

Dans l’ensemble cette période de l’année n’était pas triste… Surtout qu’entre temps nous nous préparions à fêter le grand Noël russe à la maison, chez Grand mère, le six Janvier !

Un jour très fièrement Grand mère nous annonçait qu’elle avait trouvé un énorme sapin…Grand-père sortait toutes les mystérieuses boîtes qui contenaient des trésors infinis…Je me rappelais vaguement d’une année sur l’autre cet oiseau de paradis, ou le petit tambour, le vilain diablotin, et le tout petit Père Noël ! Les boîtes de boules étaient tellement fragiles que je ne pouvais « les toucher » qu’avec les yeux ! J’étais reléguée dans un coin à coller les chaînettes faites de papiers brillants ramassés durant  toute une année. Grand-mère passait son temps dans les préparatifs culinaires, des odeurs chatouillaient nos narines, je me demandais "comment aurai-je le courage d’attendre…le jour et l’heure dite" ?

Puis je fus reléguée dans ma chambre, car le Père Noël ne vient jamais en présence des enfants ….

Le saviez vous ?…

J’attendais, j’attendais dans le brouhaha général que le silence se fit …Grand mère m’appela de sa voix grave : Natalia Aliékcieévna…. C’était moi… Oui, c’était enfin moi…Je me précipitai en glissant sur le parquet vers la salle à manger (interdite depuis des heures)….

Je fis une entrée des plus fracassantes dans la plus belle pièce du monde ! Tout était éclairé, les moindres recoins, et Notre Sapin énorme trônait, sentant si bon la bougie et le pin ! Il était merveilleux !

Je reconnaissais à peine les joujoux que j’y avais accrochés quelques heures auparavant…Il était féerique resplendissant de tous ses feux ! Grand mère commença à faire circuler quelques friandises….

Le souffle coupé j’entendis trois grands coups sur la porte …Je me blottis contre mon vieux nounours que je traînais partout, surtout dans les grandes occasions…

Les battants s’ouvrirent et le Père Noël entra courbé sous sa hotte…

« J’ai quelques paquets pour vous, dit-il de sa voix caverneuse. » et en fouillant les jolis paquets commencèrent à pleuvoir autour de moi !…. » J’étais totalement ensevelie sous une quantité de cadeaux qu’en aucun de mes rêves je n’aurais pu imaginer…

Mes yeux commencèrent à clignoter, les Grands parlaient de plus en plus fort…

Papa va coucher ta fille pour une fois ! (c’est Grand-père qui me couchait tous les soirs)…Je me laissai emmener dans les bras de mon Papa et au dernier moment, celui du drap qui borde et l’ultime baiser sur le front, je lui dis : « Dis moi la vérité…le Père Noël n’existe pas ? » Bien sûr que non ! ma chérie !

La porte se referma sur ces mots, mes yeux se remplirent de larmes….

Pourquoi ? M'ont-ils encore menti ? POURQUOI ?