Jardin d'enfant
 
Jean-Robert Chauvin
 
- 4 -

 

 

Elsa pense au jardin. Elle a 20 ans, les cheveux ras et les yeux durs. Le corps sec, douloureux, insensible, cassé par le souvenir. Personne ne joue plus à la balan?oire. Personne ne s’assied plus à l’ombre du tilleul. Personne ne donne plus vie aux lutins, aux fées, au peuple souterrain. Personne ne fixe plus le soleil en face. Elsa regarde par la fenêtre. Le mur d’enceinte dresse son ombre entre elle et le ciel. Il lui rappelle le mur qui entourait le jardin de son silence protecteur. Mais celui-ci protège la rue, le monde, les gens du dehors d’Elsa qu’on a enfermée ici. On ne peut pas ouvrir la fenêtre, ni fermer les persiennes pour se reposer. On ne peut pas aller dehors pour jouer, pour lire ou pour pleurer. Les sorties durent à peine un quart d’heure. Il n’y a pas de terre dans la cour et il n’est pas question de s’étendre sur le sol pour guetter, à travers le bitume rugueux, les signaux assourdis des fourmis ou des vers. Elsa ne joue plus, ni ne lit, ni ne pleure. Elle attend simplement que passent les heures, les jours, les mois, les années de sa peine. En silence. Le silence qui l’accompagne depuis toutes ces années, fidèlement, sans jamais la quitter. Ce silence qui la protège encore. Elle n’a rien dit. Elle a juste avoué. Elle ferme les yeux, inspire profondément, s’abandonne. Elle imagine une enfant aux boucles brunes, au regard clair, traversant l’allée qui crisse sous ses pas, suivant du regard le vol d’un papillon vers la fenêtre ouverte de la chambre, souriant à sa mère accoudée au rebord qui lui rend son sourire, s’approchant du mur à pas de loup pour ne pas effrayer la pie juchée au sommet, cueillant à pleines mains les framboises qu’elle dévore à pleines dents, piétinant innocemment la terre dans laquelle Elsa a enfoui son père pour retrouver sa liberté.

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