Intra muros

Du Palais à la Quinzaine, le cinéma s’est en effet enfermé entre quatre murs. Les murs sales et remplis de messages d’amours du cinéma porno de Serbis de Brillante Mendoza. Les couloirs couverts de jouets de la prison pour femmes de Leonera de Pablo Trapero. Les cellules tapissées de merde de Hunger de Steve Mc Queen. Les grilles et les passages des grands bâtiments, royaume de la mafia, de Gomorra de Matteo Garrone. Les galeries des horreurs du royaume de la fiction de De la guerre de Bertrand Bonello. Les chambres de Chelsea on the Rocks d’Abel Ferrara, notamment celle où des acteurs rejouent la mort de Nancy Spurgeon. Ou la chambre d’ado attardé de Joaquin Phoenix dans Two Lovers de James Gray. La guise documentaire, dont chacune de ces fictions est d’une manière ou d’une autre porteuse, ne cesse d’enfanter des huis clos, ce qui est loin d’être cinématographiquement neutre. Cette volonté n’est-elle pas, outre celle d’une insistance du home-movie, la confirmation d’un retour du théâtre dans le cinéma ?

À propos de Redacted, les Cahiers avaient noté comment, entre les cadres reconstruits de YouTube, des caméras de vidéo surveillance ou des vidéo-chats entre soldats et parents, surgissait un peuple désireux de prendre la parole, mais pas encore certain d’avoir trouvé une assemblée (ou une classe) à qui s’adresser.

On ne peut s’empêcher de penser au théâtre et à ses adresses en regardant le plan fixe de dix minutes où a lieu la dispute sur la vie et sur la mort entre le héros de Hunger et son confesseur. Dans un tout autre scénario, le choix des frères Dardenne d’abandonner dans Le Silence de Lorna le Super 16 pour le 35 mm ne passe pas inaperçu. L’essence de leur cinéma reste intacte, ainsi que leur penchant pour les objets (toutes les tensions du film se recoupent dans une enveloppe d’argent). La mise en scène, en revanche, cesse de suivre la nuque de l’héroïne, plus posée et douce que jamais. Elle s’installe dans l’attente des mouvements d’Aka Dubrovic, l’actrice (de théâtre) qui incarne Lorna.

Il ne s’agit pas forcément d’un cloisonnement. Tout espace, toute architecture - y compris celle de la nature, venait rappeler Straub avec un Genou d’Artemide à nouveau conçu entre deux troncs et un rocher - sont voués à constituer les parois d’une boîte à trois pans, ouverte sur la salle, qu’on appelle scène. Comme l’écrivait André Bazin : « Le problème ne réside pas dans le décor en lui même mais dans sa nature et sa fonction. »

C’est là où le film de Cantet a pris de l’avance. Il ne se limite pas à un geste de clôture, mais à la connaissance de la nature et de la fonction de ce geste. Lors de la conférence de presse d’Entre les murs, la première question posée au cinéaste ne pouvait que concerner le choix de l’adaptation littéraire. Le projet de faire un film sur l’école existait depuis un certain temps. En quoi le livre de François Bégaudeau est-il apparu nécessaire ? Cantet a donné trois raisons : l’importance d’avoir un témoin direct ; le fait de retrouver dans le roman le parti pris de son propre projet, c’est-à-dire une histoire bornée aux murs du collège ; enfin la figure du héros du livre, François Marin, un prof qui en contient plusieurs. Ces trois réponses se résument en une seule question : que savons-nous de François ? Pas grand-chose. Nous ne connaissons pas son domicile, nous ignorons son statut familial, ses préférences politiques... Or, François (Marin) est la photocopie de François (Bégaudeau). Seulement, de la personne Cantet ne garde qu’un fragment. C’est pourquoi, lieu dramatique, Entre les murs est moins un théâtre qu’un laboratoire où l’on pratique une greffe de vraie vie dans la fiction.

Pourquoi pas un documentaire ? Parce que la vie en direct d’une école ne peut se donner directement mais doit passer par un travail, se jouer dans un atelier où de véritables profs et de véritables élèves dépassent leur propre expérience particulière (de bon ou mauvais prof, élève, proviseur) et trouvent sur le plateau la formule fictionnelle de leur propre personnage. Ce processus n’est pas très différent des dessins de Yoni Goodman pour Valse avec Bachir, tirés des vidéos de véritables entretiens. À l’Israëlien Ari Folman on peut demander : pourquoi l’animation  ? Dans les deux cas, nous sommes devant un cinéma qui atteint la vie en direct par l’exclusion de tout ce qui est directement lié à la vie.