Mais quand il arriva chez lui et fut dans sa maison, la première personne qu'il rencontra n'était autre que sa fille cadette, la bien-aimée: elle accourut vers lui, lui sauta au cou et l'embrassa, tout heureuse et n'arrivant plus à contenir sa joie quand elle vit qu'il lui avait rapporté une fauvette qui saute et qui chante. Devant cette explosion de joie, le malheureux père né sut pas retenir ses larmes.

- Ma chère, chère enfant, lui dit-il, ce petit oiseau, hélas! je ne l'ai eu qu'à un prix énorme: il a fallu qu'en échange je te promette à un lion féroce qui va te déchiqueter et te dévorer dès qu'il te verra.
En sanglotant, il lui raconta comment les choses s'étaient passées; puis il la supplia de ne pas se livrer, quoi qu'il pût advenir. Mais elle le consola et lui dit :

- La promesse que vous avez faite, mon cher père, il faut la tenir: je me livrerai et je saurai attendrir le fauve suffisamment pour vous revenir en vie et en santé, croyez-moi.
Dès le lendemain matin, elle se fit montrer le chemin, dit adieu et s'enfonça sans crainte au cœur de la forêt. Elle avait pleine confiance.

Quant au lion, la vérité était qu'il avait été enchanté, ainsi que tous les siens, et qu'il était un prince, ne devenant lion que pendant le jour pour retrouver sa forme humaine pendant la nuit. Et tous ses gens, de même, étaient des lions le jour, mais des hommes la nuit. Parvenue au château, la cadette y reçut bon accueil; et quand la nuit fut venue, elle connut le prince qui était fort bel homme, et leurs noces furent célébrées en grande joie et magnificence. Ils s'aimaient et se plaisaient beaucoup l'un avec l'autre, dormant le jour et veillant la nuit.

Le temps passa, puis vint une fois que le prince lui dit: « Demain on donne une grande fête dans la maison de ton père pour le mariage de ta sueur aînée; s'il te plaît de t'y rendre, mes lions te feront escorte. r Elle accepta, tout heureuse de revoir son père, et elle y alla avec les lions qui l'accompagnèrent.

Ce fut la plus grande joie à son arrivée, car ils avaient tous cru que le fauve la déchirerait, et ils la croyaient morte et dévorée depuis longtemps. A son tour, elle leur raconta quel bel homme était le prince et combien elle était heureuse de l'avoir comme époux, les assurant que tout allait au mieux pour elle; tout le temps qu'on fêta les noces de sa sueur, elle resta avec eux; ensuite, elle repartit pour aller vivre au cœur de la forêt.

Lorsqu'elle sut que sa deuxième sueur allait se marier et qu'elle était invitée à ses noces, elle dit à son lion: « Cette fois-ci, je n'irai pas seule: il faut que tu viennes avec moi. Mais le lion s'en défendit, déclarant que c'était trop risqué pour lui, car si jamais le moindre rayon de lumière venait à le toucher là-bas, il serait changé en colombe pour sept ans et s'en irait voler avec les autres oiseaux de cette race.

- Oh! Insista-t-elle, viens quand même avec moi: je saurai bien veiller à ce qu'aucune lumière ne te touche!

Ils partirent donc ensemble et prirent encore avec eux leur petit enfant. Là-bas, elle fit murer une pièce en redoublant l'épaisseur et la solidité des cloisons pour être bien sûre que nul rayon n'y pût passer; ainsi, quand on allumerait les flambeaux de la noce, il n'aurait qu'à s'y enfermer et il ne courrait aucun risque. Seulement, la porte avait été faite de bois trop frais et il s'y fit, à l'insu de tous, une imperceptible fente que nul ne vit; et lorsque le brillant cortège revint de l'église avec tous ses flambeaux et ses lanternes, il défila devant la porte et un fil de lumière pas plus gros qu'un cheveu toucha le prince, qui fut à l'instant même transformé. Quand elle revint dans la pièce murée, elle le chercha mais ne le trouva point: il n'y avait là qu'une colombe blanche se tenait à la place du .prince. Et la colombe lui parla

- Il faut que pendant sept ans je vole d'un bout à l'autre du monde; mais pour t'indiquer le chemin, je vais laisser tomber tous les sept pas une goutte rouge de sang et une blanche plume. Si tu suis cette trace, tu peux me délivrer.