Alors, il est bien ? Oui, il est bien. On en aurait presque oublié l’essentiel, à force de parler de l’ombre portée de son mari, des soucis des diplomates et des suées de sa maison de disques. Malgré le fait que, depuis un mois (le 11 juin dans Le Figaro, très exactement), sont parues quelques précritiques de son album, on en avait presque oublié que Carla Bruni est chanteuse. Et que, avant d’être une question de droit constitutionnel, un cas d’école pour les professeurs de marketing, un crève-cœur pour les critiques musicaux fier de leur gauche et un casse-tête pour les éditorialistes de droite qui n’aiment pas la chanteuse, Comme si de rien n’était consiste en quatorze chansons.

Alors, il est comment ? Eh bien, il est bien. Si l’on prend comme point de référence Quelqu’un m’a dit, son premier album en français, on retrouve la même manière de chanter elle, elle-même et elle encore, de se raconter en amoureuse et en enfant secrète, en farceuse et en mélancolique. Mais elle y met encore une fois tant d’ironie, de franchise, de sensibilité et – avouons-le – de charme, que l’on n’a pas avec elle l’impression incommodante que produiraient autant d’autoportraits chez mille autres chanteuses. Et, si l’on se souvient de ses deux précédents disques, habillés de presque rien par l’ami Louis Bertignac (des guitares très économes, des rythmes sereinement languissants), on retrouve le même sens de la mélodie américano-européenne, comme si chez elle le folk était fécondé par la valse, comme si la chanson française s’installait au feu de camp des pionniers à guitares. Et elle a toujours la même voix douce, rêche, un peu pliée (comme disent les techniciens), portée par un souffle effilé, élégant, curieusement aussi janséniste que suave.

La surprise de Comme si de rien n’était est qu’aux pastels et aux ocres des deux premiers albums de Carla Bruni succèdent les couleurs plus tranchées et la palette plus ouverte d’arrangements dus à Dominique Blanc-Francard. Le regard du réalisateur de l’album est ouvertement tendu vers les années 60 et, évidemment, le travail de George Martin pour les Beatles. Dès Ma jeunesse, le titre d’ouverture de l’album, on entend un trombone franchement vintage, puis une très élégante voix doublée au mixage sur Salut marin (la chanson ouvertement dédiée à son frère mort en 2006), de franches références à Procol Harum sur Déranger les pierres, un peu de l’Ennio Morricone classique dans sa reprise d’Il vecchio e il bambino, de beaux arrangements de cordes de Benjamin Biolay, le plus sixties des orchestrateurs français, dans le single L’Amoureuse…