L'Oréal, 100 ans... et pas une ride !

Le 4 juin, L'Oréal va fêter ses 100 ans. Un siècle durant lequel le groupe n'a cessé d'accroître sa suprématie sur le marché des cosmétiques, passant ainsi du rang de petite PME familiale à celui de leader mondial. Véritable machine à cash, L'Oréal a longtemps été une des valeurs star de la Bourse de Paris. Les clés de sa réussite tiennent en deux mots : innovation et marketing.

Tout commence en 1907, lorsque le jeune chimiste Eugène Schueller décide de répondre à la demande d'un coiffeur barbier pour une étude sur les cheveux. Eugène Schueller croit dans la coloration et crée ainsi ses premiers produits dans sa cuisine, transformée pour l'occasion en laboratoire. Il baptise un de ses produits L'Auréale, qui donnera son nom à l'entreprise en 1939. En 1909, il crée sa Société Française des Teintures Inoffensives pour Cheveux. Il développe alors des teintures mais aussi des permanentes froides et des shampoings sans savon. La nuit, le chimiste formule ses produits et le jour, il fait la tournée des salons de coiffure.
Fort de ses premiers succès, Eugène Schueller se diversifie et rachète Monsavon en 1928. En 1934, il révolutionne les mentalités en lançant le shampoing Dop, le premier shampoing sans savon destiné au grand public. Pour vendre son produit, Eugène Schueller investit dans la publicité, à la radio - Charles Trenet chantera « Dop dop dop » -, en affichage et crée même le magazine féminin Votre beauté, pour s'adresser directement à ses clientes. L'année suivante, Eugène Schueller met au point une huile filtrante contre les coups de soleil : Ambre solaire. Elle sera commercialisée en 1936, l'année des premiers congés payés en France, ce qui lui assure un énorme succès. A cette date, l'entreprise compte déjà plus de 1.000 salariés.

Le début de l'internationalisation
En 1948, Eugène Schueller prépare sa succession et appelle auprès de lui François Dalle, alors patron de Monsavon. Il faut savoir qu'en un siècle L'Oréal n'a connu que cinq dirigeants : Eugène Schueller, François Dalle, Charles Zviak, Lindsay Owen-Jones et Jean-Paul Agon. Une pérennité dans la direction qui est sans aucun doute l'une des clés du succès du français.
François Dalle dirigera le groupe de 1957 à 1985. Pour lui, L'Oréal doit se concentrer sur des produits à forte valeur ajoutée. « Un sou dans la recherche permet de vendre 1 franc plus cher », affirme-t-il.
Un des piliers de la stratégie du groupe, plus que jamais d'actualité aujourd'hui, est la recherche, dont les coûts sont amortis par une large commercialisation dans un maximum de créneaux et de pays possibles. L'an dernier, la société y a consacré 581,3 millions d'euros et a déposé 628 brevets.
Pour atteindre ses objectifs, François Dalle a élargi le périmètre en faisant l'acquisition de Garnier, Lancôme, Vichy, Gemey, Biotherm... L'Oréal commence à poser son drapeau à l'étranger, se taillant une réputation chez les meilleurs coiffeurs. Mais l'affaire reste très française. « A mon arrivée dans le groupe en 1978, il y avait quatre divisions : produits publics et coiffure, hygiène et confort, pharmacie, et parfums et beauté. A partir de cette époque, le groupe a marqué un virage et s'est totalement recentré sur un seul métier, celui de la beauté », se souvient Jean-Paul Agon, actuel directeur général du groupe.
En 1988, Lindsay Owen-Jones, alors âgé de 42 ans, prend les rênes de L'Oréal et conduit le groupe français au sommet. Sous son règne, L'Oréal vit une véritable accélération. A cette époque, le groupe est encore essentiellement une entreprise de soins capillaires. « Au début des années 1980, le groupe s'est lancé dans les soins de la peau et dix ans plus tard dans le maquillage », relate Jean-Paul Agon. Deux catégories de produits qui représentent 80 % des ventes du groupe en Chine aujourd'hui.

L'ère Owen-Jones
Lindsay Owen-Jones opère un tri dans le portefeuille de marques du groupe. Il cède entre autres Jeanne Piaubert, Lanvin et les Laboratoires d'Anglas, pour se concentrer sur des marques internationales comme L'Oréal Paris, Vichy, Lancôme, Garnier, Maybelline, Biotherm, La Roche Posay, Kérastase... A cette époque, il impose également le fameux slogan « L'Oréal, parce que je le vaux bien » (« Because I worth it »). Inventé par une agence de publicité new-yorkaise dans les années 1970, il avait été jugé trop audacieux et oublié dans un tiroir depuis. Aujourd'hui, cette phrase est indissociable des plus beaux visages féminins mais aussi des produits phares du groupe.
A cette politique marketing s'associent de véritables innovations. « Chez nous, les révolutions sont d'abord scientifiques, même s'il y a un véritable dialogue entre les équipes marketing et la recherche. Dans les molécules dites de »fracture* sur les trois dernières décennies, on peut citer le Meroxyl (filtre anti-UVA), le Céramide R, l'Aminexil ou le Pro-Xylane », rappelle Jean-Paul Agon.
Une stratégie payante puisqu'en 1997 le groupe franchit la barre des 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, contre seulement 1 milliard environ en 1978. Et, depuis l'arrivée du Britannique, L'Oréal, qui a quadruplé de taille tout en ramenant la part de son activité en Europe de l'Ouest de 80 % à 48 %, a vu sa valorisation multipliée par 13 à fin 2005.
Le passage de témoin entre Lindsay Owen-Jones et Jean-Paul Agon se fait en douceur en même temps que l'acquisition de Body Shop, rompant ainsi avec la stratégie axée sur la croissance interne de ces dix-huit dernières années, les marques acquises ayant été « maybellinisées ou garnierisées ». Le rachat d'Yves Saint Laurent Beauté suivra en 2008.

Une fin de centenaire ternie par la crise
Aujourd'hui, Jean-Paul Agon doit faire face à la crise qui frappe l'économie depuis 2008 et qui a eu raison de la très forte croissance du numéro un mondial de la cosmétique. La présence du groupe sur tous les réseaux de distribution (professionnels, grands magasins, pharmacies...) a rendu le retournement de tendance perceptible avant celui de ses concurrents. Résultat : pour la première fois en vingt-quatre ans, la progression du bénéfice net par action n'atteint pas les 10 % au minimum habituels. C'est donc en demi-teinte que s'achève le premier siècle de L'Oréal, et le nouveau siècle qui s'ouvre soulève beaucoup d'interrogations.