Cinés Croisés:Chassés-croisés amoureux

Les Sentiments           Un Homme Amoureux

(2003)                               (1987)

Noémie Lvovsky                  Diane Kurys

France                               France

90 min                              110 min

En français sous titré en chinois   En anglais et en français sous titré en chinois


" - Tu crois vraiment qu'on peut aimer plus d'une personne à la fois ?

- J'en suis sûr.

- Je crois qu'aimer plus d'une personne à la fois, c'est les trahir toutes.

- Si tu crois n'aimer qu'une personne à la fois, c'est toi que tu trahis. »

Un Homme amoureux

Deux couples, trois possibilités, c'est en tout cas le schéma narratif que l'on retouve dans ces deux films d'amour signés par des femmes, Noémie Lvovsky et Diane Kurys. L'histoire de deux coups de foudre au-delà des liens du mariage, deux passions soudaines qu'aucune des personnes n'arrive à réprimer. Dans les deux films, le « couple phare » est incarné par une très jeune femme - la vingtaine - qui tombe amoureuse d'une homme plus expérimenté - la quarantaine. Si l'on veut s'amuser à continuer à tisser des liens entre les deux films, on peut noter entre autre la blondeur innocente des deux héroïnes, la luminosité extraordinaire des deux films qui se situe en grande partie pendant l'été, la place importante prise par les séquences musicales, de la chorale tragique dans Les Sentiments à la musique très romantique de George Delerue dans Un Homme amoureux, et puis enfin, le final, on l'on assiste dans l'un comme l'autre film à une sorte de brusque retour sur Terre, au triste retour à la « normale », en un mot.

Noémie Lvovsky s'était fait remarquer dès son premier long-métrage Oublie-moi. Scénariste ayant travaillé notamment au côté d'Arnaud Desplechin et fidèle lectrice des Carnets intimes d'Henri-Pierre Roché (l'auteur de Jules et Jim), cette première œuvre évoquait déjà les errances sentimentales d'une jeune femme partagée entre son ancien et son actuel amant. Dans Les sentiments, le personnage d'Edith, interprétée par l'éblouissante Isabelle Carrée, succombe assez rapidement au charme maladroit de Jacques (touchant Jean-Pierre Bacri) : il s'agit non seulement de son voisin mais également d'un docteur, tout comme le mari d'Edith, qui transmet son cabinet à ce dernier. Dans cette liaison adultère et son amour pour Jacques, il semble qu'Edith soit avant tout "amoureuse d'elle-même en train d'aimer" : comme une volonté délibérée de retrouver un état de grâce, propre aux premiers temps de l'amour, avec cette « liaison dangereuse » - dangereuse à double titre puisque la vie professionnelle de son mari étant également en jeu.

On pense souvent à la Femme d'à côté dans cette histoire sentimentale croisée, d'autant que les deux maisons se retrouvent, en face en face, dans ce petit village. Cela n'est point étonnant en soi tant Noémie Lvovsky n'a jamais caché sa passion, d'une part, pour les films de Truffaut - notamment l'aspect romanesque de ses films, un certain réalisme aussi (Le premier baiser entre Jacques et Edith a lieu dans un parking sous-terrain tout comme les retrouvailles entre Gérard Depardieu et Fanny Ardant dans le film de Truffaut) et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la cinéaste a choisi dans le rôle de la femme de Jacques, Nathalie Baye, une actrice découverte par Truffaut lui-même. D'autre part, la réalisatrice n'a jamais caché son admiration pour les œuvres de Maurice Pialat auquel elle emprunte une certaine violence des sentiments mis à vif. On retrouve enfin dans ce film, dans le caractère des personnages - en particulier pour le couple plus âgé formé par Bacri et Baye - comme une volonté de revenir au temps de leur jeunesse (Bacri qui se met plein d'encre de stylo sur les doigts, Baye qui passe par la fenêtre après avoir vu un voleur ou qui danse comme une jeune midinette toute excitée chez elle) ; Lvovsky parvient ainsi, lors de plusieurs séquences, à introduire un peu de légèreté, un contrepoint utile aux « sentiments secrets » qui alourdissent de plus en plus l'atmosphère.

Présenté à l'occasion du 40ème anniversaire du festival de Cannes, le film de Diane Kurys prend comme toile de fond les studios mythiques de Cinecita situés à Rome et la réalisation d'un film sur l'auteur italien Cesar Pavese. Plusieurs autres réalisateurs avaient décidé cette année-là de rendre hommage au cinéma à travers leur film, citons notamment l'excellent Good Morning Babylonia des frères Taviani où l'on retrouve d'ailleurs l'héroïne d'Un Homme amoureux, la magnifique Greta Scacchi. L'histoire est relativement simple, une jeune actrice, Jane Steiner, liée à un metteur en scène français (Vincent Lindon, encore à ses débuts) tombe, pendant le tournage, folle amoureuse de la star du film Steve Elliott (Peter Coyote). Ce dernier est marié, a deux enfants et doit constamment jongler entre cette idylle et son mariage pour garder les deux femmes qu'il aime. Si cet homme vit en quelque sorte deux vies en parallèles, Diane Kurys joue également constamment entre la mince frontière entre la réalité (la vie classique, le mariage), et la fiction (le rêve, la passion) : lors de plusieurs séquences, on ne comprend qu'à la fin du plan qu'il s'agit d'une scène du film en tournage ou de la réalité...

Cette romance réalisée par Diane Kurys (la réalisatrice de Sagan) fonctionne surtout grâce à la grande complicité qui s'instaure d'entrée de jeu entre les deux personnages principaux. On peut sentir une vraie alchimie entre eux dès le premier regard que Steve Elliott pose sur cette jeune débutante au caractère bien trempée. Jane Steiner doit en plus faire face à un drame personnel : elle se rend compte en effet que la santé de sa propre mère (Claudia Cardinal, toujours aussi magique) décline, celle-ci n'ayant plus la force de se battre contre son cancer. Après avoir tenu pendant des années, sa mère décide d'abandonner la partie, à bout de force. Jane semble alors faire tout son possible pour vivre sa vie avec la même passion que sa mère a mis dans toutes les choses qu'elle a entreprise. Même si cette histoire se termine à la fin du tournage, elle aura au moins eu l'opportunité de se « tricoter » des souvenirs. Les images de la ville de Rome tout comme celles des paysages de Toscane où habitent ses parents apportent un magnifique écrin à cette œuvre passionnelle.

Deux chassés-croisés amoureux qui, au risque de tourner au tête-à-queue, tentent, éperdument, d'arracher quelques instants de plaisirs interdits.