J’ai soudainement ­envie d’une pizza bien grasse. J’appelle un ami, je propose de lui apporter, à vélo, sous la pluie, mes légumes qu’il cuisinera. Il accepte. Sauvée. Deux jours plus tard, je donnerai mes rendez-vous de présoirées dans un supermarché Biocoop. Chaîne qui offre des aliments sans pesticides, OGM et autres trucs pas cool, sachant que seulement 2 % du territoire français respecte ces normes. Tiens, Julien Clerc à la caisse. Bizarre : ils vendent des bananes, un fruit qui ne pousse pas dans le Maine-et-Loire. J’exige une explication. « Elles sont cueillies vertes dans des plantations équitables et arrivent par bateau. Vous savez, ce ne sont pas des bateaux à voile... » OK.


Je m’y suis procuré, pour un prix un peu plus élevé que dans les supermarchés « Pasclairs » ou « Intersection », quelques produits essentiels. Des lessives écolos (efficaces), du champagne bio (aigre), du fromage bio (bon), des carottes sales (goûtues), de la crème glacée (le pot y est passé), des shampooings à l’argile (mes cheveux auraient pu nourrir des vaches à cause de l’effet paille), un gros poulet, des fleurs de Bach et des produits d’hygiène corporelle, dont un déodorant sans aluminium. Le souci.

Car, évidemment, il fallait que je me déplace à vélo le plus souvent possible. Le trajet Est parisien-Levallois en hiver, dans le froid, est assommant. Une légère odeur de yack émanant de mes aisselles, j’ai largué mon VTT gare Saint-­Lazare et continué en métro. Ça va, il faut bien aller travailler. Déjà que je grimpe les étages à pied, chez moi ou au bureau, me ­privant du miroir de l’ascenseur pour contrôler une mèche rebelle...

Justement, le bureau. Comment se nourrir correctement ? Passé les restaurants du coin où, si l’on s’enquiert de la provenance du saumon, on vous explique : « De la mer, le bio c’est du marketing », je me décide et commande un plateau-repas conseillé par un magazine féminin. Immonde. Je suis la risée des collègues. Poire au bleu, confiture de radis, haricots verts de cantine... Cette société me harcèle pour recevoir un fax de confirmation du règlement exorbitant, 52 euros. Mais personne ne sait me dire d’où proviennent les ingrédients. « On va se renseigner, mais qu’avez-vous pensé du kit couverts » ? En plus, le tout est livré en camion, avec « Le Figaro » (?) dans un énorme emballage. Or les emballages, c’est le drame.

«Pour émettre moins de dioxyde de carbone, il faut consommer moins... de tout»

Pour émettre moins de dioxyde de carbone, pas de secret, il faut consommer moins de tout. Cela signifie, rater les soldes APC, Margiela, ne pas acheter de disques mais télécharger légalement, débrancher ses appareils électroménagers. La tannée quand le micro-ondes vous sert d’horloge. C’est aussi boire des cafés dans une vraie tasse à laver ensuite, envoyer moins de mails (pas évident), arrêter de balancer les dizaines de dossiers de presse débiles que l’on reçoit chaque jour, mais créer un endroit spécial pour recyclage et faire rire. C’est se pencher sur son fournisseur d’électricité et comparer.

EDF propose 9 % d’énergie renouvelable dans ses contrats. Pas terrible. Je les appelle, m’apprêtant à me justifier sur mes envies d’ailleurs, notamment vers Enercoop, coopérative qui vend du vrai 100 % vert. Que nenni. Une femme décroche : « Vous voulez changer ? Celui que vous choisirez s’occupera de tout, au revoir. » Elle n’essaie pas de me retenir. Depuis la libéralisation du marché de l’énergie, très peu de particuliers ont quitté la maison bleue EDF adossée à l’Etat. J’hésite aussi : et si tout ça tombait en panne ?

Durant cette semaine, j’ai commandé, par Internet, des légumes livrés dans un restaurant non loin de chez moi. Des vrais poireaux et autres brocolis de petits Parisiens bobos, propres, beaux, comme s’ils n’avaient jamais vu la terre. J’ai proposé des soirées soupes, élégamment refusées sous des prétextes fallacieux. J’ai questionné la provenance de sushis, du « camion de livraison ». J’ai détaillé à un ami la composition de ses ­saucisses de porc, issues d’une centaine de cochons n’ayant jamais gambadé libres ni dragué. Je n’ai pas coupé au déjeuner familial, mais embêté ma mère : « D’où viennent ton rôti, les légumes, le fromage ? » Réplique maternelle : « Bibiche, c’est Label rouge et personne n’en saura rien. Il n’y a pas de bio par chez nous. » Ils vivent en banlieue, pas en Afghanistan.

Mon père a changé mes ampoules. J’ai essayé de prendre des taxis verts. Pas évident à 2 heures du matin sans avoir prévenu. J’ai voulu orienter mon oncle vers des voitures moins polluantes. Il est propriétaire d’un énorme 4 x 4, alors que la boue et les chevreuils sur le périphérique... « Une Toyota Prius ? T’es malade, dangereuse gauchiste ! »

«Je n'ai pas réussi à me laver sans eau»

J’ai découvert le seul restaurant bio gastronome, Bioart, parfait, excellent, appartenant à un type génial, qui entre deux discussions sur les trente pesticides recouvrant une pomme vous fait goûter un vin bio délicieux et vous conseille un médecin généraliste et phytothérapeute, Dominique Eraud. Je l’appelle. Plutôt que de me gaver d’Aspegic 1000, elle me parle de granules d’arnica, d’infusions de thym et de cuivre-or-argent en cas d’état grippal. « Le futur, c’est l’éco-médecine à base de plantes, car il faut aussi éviter les déchets nuisibles venant du corps humain. » En effet, tout cela retourne à la terre après digestion.

Vivre bio et bien, c’est un engagement. Je bulle moins dans le bain, mais je n’ai pas réussi à me laver sans eau. Bémol : le savon d’Alep pue. A la prochaine réunion de copropriété, je vais exiger un bac à compost car il est hors de question que je me déplace dans Paris, mes épluchures sous le bras. Je touche mes fourneaux. Grâce au vélo et à la marche, j’ai la cuisse plus ferme. Donc, à défaut de penser à la sauvegarde de la planète, on peut penser à sauvegarder son corps, ce qui évite un abonnement à une salle de sport. La vanité sauvera le monde. Point final