Comme tous les matins, Justine s’est réveillée à 7 heures pour être à 8 h 30 dans le supermarché du centre de Paris où, depuis bientôt deux mois, elle est caissière en CDI. Payée au smic, elle dit gagner de 1 300 à 1 400 euros par mois en comptant les heures supplémentaires et les week-ends. Dehors, l’eau de la gamelle de Tao et Havana, ses deux chiens, a gelé. Toujours allongée sous les couvertures, Justine a enfilé un poncho sur ses épaisseurs de pulls et d’écharpes. Elle n’est pas allée aux toilettes depuis la veille au soir. La fontaine ayant été coupée à cause du froid, elle doit aussi se passer de son débarbouillage matinal. Comme chaque jour, Nicolas l’accompagne au métro. Dans le dédale des sombres allées du bois, il craint qu’elle fasse une mauvaise rencontre.

Justine a 22 ans, un an de moins que Nicolas. Ils sont minces, trop minces. « J’ai perdu 10 kilos et lui 6 », confie-t-elle. Depuis trois mois, ils dorment sous une tente qui ne ferme plus, dans le bois de Vincennes, près de Paris. Pour plus de sécurité, ils se sont installés à côté d’autres SDF. Une fois, ils ont découvert un inconnu, armé d’un couteau, dormant dans leur abri. Un autre soir, ils ont retrouvé leur tente vide. Alors, ils ne laissent presque rien : livres, bougies, couvertures, duvets, brioches et croquettes pour chien. Pas de réchaud, car le gaz gèle. La bâche tendue au-dessus de leur tente plie sous la neige. Justine a relevé ses longs cheveux en chignon. « Ainsi, on ne voit pas s’ils sont sales ou propres. » Pourtant, elle prend soin d’elle. Un jour sur deux, après le travail, elle file aux bains-douches. Rien chez elle ne dénote ces cinq interminables mois dans la rue. Sauf ses mains abîmées et ses ongles noircis. Justine sourit souvent, les yeux malicieux. Habillé de son manteau de snowboard, vestige du temps où il sillonnait les pistes des Alpes sur sa planche de surf, Nicolas a enfoncé son bonnet sur ses sourcils. Plus réservé, il éprouve plus de difficultés à masquer son désarroi. Ils se sont rencontrés en Haute-Savoie. Elle était en vacances, elle est revenue l’année suivante pour « être avec lui » et passer, après son bac ES, un bac pro dans les métiers de la montagne. Nicolas a obtenu un BEP, puis un bac pro en menuiserie. Ensuite, ils ont sillonné la France au gré des saisons. L’hiver dans les Alpes, lui menuisier, elle barmaid, et l’été dans le Sud. Près de cinq ans à ce rythme. « On habitait des chambres de 8 ou 9 mètres carrés qu’il fallait rendre à la fin de la saison. On a eu envie d’avoir notre chez nous, de nous poser. On s’est dit pourquoi pas Paris ? »

Seules ses mains trahissent la vie de Justine

En arrivant, après une dernière saison à Bayonne, ils se sont installés à l’hôtel, attendant la première fiche de paie qui leur ouvrirait, croyaient-ils, les portes d’un appartement. « On a dépensé toutes nos économies, puis j’ai commencé à signer des chèques en bois », confie Justine. Mi-septembre, ils étaient très endettés et ne pouvaient plus retirer d’espèces. Ils ont alors planté leur tente dans le bois de Vincennes. « On pensait que c’était provisoire, l’affaire de quelques jours », se souvient-elle. Leur tente est devenue leur maison. On leur a proposé des places dans des foyers, « mais pas ensemble et sans nos chiens », précise Justine. Ces deux-là semblent unis à jamais. Huit ans qu’ils se connaissent, cinq qu’ils se sont embrassés pour la première fois. Cinq années accrochés l’un à l’autre « parce qu’on s’aime plus que tout », dit Nicolas dans un de ses regards heureux. Mais aussi parce que chacun est la bouée de l’autre. « Sans elle, assure-t-il, j’aurais sûrement sombré dans l’alcool. » Justine pourrait s’installer chez l’une de ses sœurs, mais sans son compagnon. Alors elle reste. Quant à leurs chiens, presque toujours interdits dans les centres d’hébergement d’urgence ou les foyers, pour rien au monde ils ne s’en sépareraient. C’est leur famille.

De la leur, éparpillée, ils n’ont guère de nouvelles. Nicolas aimerait renouer avec ses parents, « mais quand ça ira mieux. Je ne veux pas qu’ils me voient comme ça ». Pas de garantie familiale, donc, pour l’appartement. « Mon employeur se porte garant du loyer jusqu’à 400 euros par mois et paie la caution », affirme Justine. Grâce au bouche-à-oreille, ils ont entrepris quatorze fois des démarches pour un appartement. Le dernier, un 9 mètres carrés à Saint-Mandé à 420 euros, ils y ont cru. « On avait signé. La veille du délai de rétractation, la propriétaire a décidé de le garder pour son petit-fils. Mais elle n’en a pas ! Je l’ai très mal vécu. » Car c’est cet espoir que tout aille mieux demain qui les fait tenir. Après avoir accompagné Justine au métro, Nicolas entreprend le tour des associations et des services sociaux. Ils ont moins de 25 ans et ils n’ont droit à rien. Le RSA pour les jeunes, personne ne lui a dit s’il pouvait en bénéficier. Nicolas s’y connaît pourtant dans le dédale des aides aux démunis : vestiboutique pour les vêtements, associations qui donnent des Titres-Restaurant, celles où l’on peut trouver un repas chaud, faire une lessive ou soigner son chien... Consciencieusement, il cherche une porte de sortie, remplit les demandes de logement social, rencontre les assistantes sociales... Il ne travaille pas, car il ne peut pas laisser les chiens sous la tente.

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