Loto, chevaux, bandits-manchots : en 2009, les Français ont laissé chaque jour la somme record de 59,1 millions d'euros dans les caisses de la Française des Jeux (FDJ), du PMU et des casinos, l'équivalent du prix d'un Airbus A320 ou de la construction de deux lycées en Ile-de-France. Selon une enquête de l'Agence France-Presse, les dépenses quotidiennes des Français en jeux d'argent sont passées en sept ans de 47,5 à 59,1 millions d'euros, malgré la crise économique.

En 2009, dernière année avant l'ouverture du marché français des paris sportifs et hippiques et du poker en ligne prévue en juin 2010, les trois opérateurs ont enregistré une recette de 21,600 milliards d'euros : 9,997 pour la FDJ (+ 8,6%), 9,303 pour le PMU (+ 0,4%) et 2,3 milliards de produit brut des jeux (PBJ, différence entre mises et gains) pour les casinos (- 9 %).

Pourtant ces chiffres ne reflètent qu'imparfaitement la réalité: le PBJ des casinos ne prend pas en compte les sommes laissées par les joueurs dans les machines à sous et redistribuées aux gagnants; les recettes des jeux d'argent (paris sportifs et hippiques et poker) sur internet, auxquels s'adonnent chaque jour en toute illégalité des dizaines de milliers de Français, ne sont évidemment pas comptabilisées.

«Quand la crise est trop dure, il ne reste plus que le rêve»

Monique Pinçon-Charlot, qui publiera le 3 mars avec son mari, également sociologue, «Les millionnaires du Loto, rêve et réalité» (Payot), ne s'étonne pas de l'augmentation des dépenses de jeux d'argent en 2009. «Quand la crise est trop dure, il ne reste plus que le rêve que l'on peut acheter contre les quelques euros d'un ticket de Loto», dit-elle. «Depuis l'arrivée des amis du CAC 40 au coeur du champ politique il y a 2 ans et demi, l'ascenseur social ne marche plus du tout et il ne reste plus que le jeu pour les Français les plus désespérés», assure cette sociologue. «Avec le jeu, une vie de misère peut ainsi basculer du jour au lendemain dans une vie sans contrainte», ajoute cette sociologue en référence aux 60 millions d'euros gagnés fin décembre par une famille du Doubs qui avait joué un ticket d'Euro Millions à ... 2 euros.

Le directeur de l'Institut Médiascopie Denis Muzet relève que la «crise a modifié le rapport des Français face à l'argent». Selon ce sociologue, alors que la crise financière bancaire a mis en lumière le «comportement fou de quelques financiers, comme Madoff, qui ont laissé des millions de gens dans la dèche, le jeu est devenu une forme de spéculation pour les petites gens». Les Français, poursuit le directeur de l'Institut Médiascopie, «ont besoin de se faire plaisir et recherchent sans doute à se consoler de leurs difficultés même avec des petits gains». Une allusion à la Française des Jeux (FDJ) qui dit avoir distribué 800 millions de lots (de un euro à cent millions d'euros) en 2009. Les joueurs sont également attirés par les jeux «simples, bien identifiés, rassurants», comme ceux de la FDJ ou du PMU, «d'autant plus qu'il y a derrière ces enseignes la puissance tutélaire rassurante de l'Etat».

Quant à Jean-Pierre Martignoni, sociologue spécialisé des jeux, tout en saluant la «performance» de la FDJ qui a accru son chiffre d'affaires de 8,6% «malgré la crise», il dénonce le «double langage de la FDJ qui met en avant depuis deux ans un jeu 'responsable et raisonnable' et qui dans le même temps multiplie les publicités».