Chapitre 3 : Le départ

Vladimir secoua son énorme barbe blanche qui lui recouvrait la poitrine, quelques miettes de pains tombèrent sur le sol. Son immense main saisit la bouteille de Vodka. Avec lenteur, Vladimir savoura la chaleur de l’alcool qui glissait doucement dans son corps. Quand il reposa le flacon vide, ses joues et son nez virèrent au rose. Un large sourire de satisfaction découvrit de superbes dents blanches faites pour manger et rire. Vladimir enfonça son gros bonnet de laine sur ses oreilles, dissimulant son épaisse chevelure immaculée comme une première neige. Il frappa le sol de ses pieds et s’emmitoufla dans son lourd manteau rouge.

Tous les bûcherons des alentours portent le même manteau rouge. En cas de malheur, il est plus facile de retrouver une tache rouge au milieu du désert blanc. Vladimir regarda une dernière fois ses enfants. Il aurait aimé les embrasser. Mais, dans la région, on dit que ça porte malheur de s’échanger un " Au revoir ".

Avec un pincement au coeur, Vladimir remit un rondin de bois dans la cheminée et se dirigea vers l’entrée. Il tenta d’ouvrir la porte de son isba. En un clin d’oeil, une épaisse couche de neige s’engouffra dans la petite maison. Vladimir poussa sur la porte, s’extirpa de l’intérieur, repoussa le battant et se dirigea péniblement vers l’écurie. Pas besoin de verrouiller l’entrée, la neige s’en chargera. Pour ses enfants, il n’avait rien à craindre. Malgré leur jeune âge, il savait qu’ils ne s’aventureraient pas seuls sur la Taïga. Et puis, quand bien même, si un voyageur égaré forçait la porte dans ce lieu perdu du monde, c’est qu’il avait plus besoin d’aide qu’il n’était animé de mauvaises intentions.

La lueur de sa lampe-tempête dessinait sur les sapins, alourdis par la neige, la silhouette de Vladimir, petite, compacte, dotée d’un embonpoint qui trahissait le plaisir de manger.

 Un dernier sucre suivi d’une tape amicale à chacun de ses six rennes qui constituaient son attelage prépara les animaux pour le grand voyage. Une ultime vérification du harnachement, puis Vladimir attela les animaux à la troïka chargée de bûches, prête depuis une semaine déjà. Ensuite, il sauta sur le siège avant et, d’un simple claquement de langue, fit s’ébranler le convoi. La nuit aveugle écouta en silence les joyeux cliquetis des clochettes du traîneau.

Le vent hurlait sur la taïga, les rennes peinaient, mais avançaient. Le bûcheron rabattit sur son visage sa chapka et lentement, se laissa emporter par un demi-sommeil. Les bêtes connaissaient le chemin. Vladimir, dans son rêve, voyait les bûches flamboyer avec mille étincelles dans l’âtre des bourgeois de la ville et cette vision réchauffait intérieurement l’homme que la neige, maintenant, recouvrait entièrement.