Tout à coup le soleil les inonda ; ils crurent sortir de l'enfer. Ils avaient soif, une trace humide les guida, à travers un chaos de pierres, jusqu'à une source toute petite canalisée dans un bâton creux pour l'usage des chevriers. Un tapis de mousse couvrait le sol alentour. Jeanne s'agenouilla pour boire ; et julien en fit autant. Et comme elle savourait la fraîcheur de l'eau, il lui prit la taille et tâcha de lui voler sa place au bout du conduit de bois. Elle résista ; leurs lèvres se battaient, se rencontraient, se repoussaient. Dans les hasards de la lutte, ils saisissaient tour à tour la mince extrémité du tube et la mordaient pour ne point lâcher. Et le filet d'eau froide, repris et quitté sans (voir cette leçon en complément sur les accords après "sans") cesse, se brisait et se renouait, éclaboussait les visages, les cous, les habits, les mains. Des gouttelettes pareilles à des perles luisaient dans leurs cheveux. Et des baisers coulaient dans le courant. Soudain Jeanne eut une inspiration d'amour. Elle emplit sa bouche du clair liquide, et, les joues gonflées comme des outres, fit comprendre à julien que, lèvre à lèvre, elle voulait le désaltérer. Il tendit sa gorge, souriant, la tête en arrière, les bras ouverts ; et il but d'un trait à cette source de chair vive qui lui versa dans les entrailles un désir enflammé.

Guy de Maupassant, Une vie, Folio Classique (Gallimard), 1974, p. 98

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